Épisode deuxième : On ne résiste pas
Dans l'épisode précédent, nous nous sommes arrêtés au moment où Filos se vautrait dans un buisson épineux. Cet épisode débute à l'instant où son mystérieux compagnon nain lui écrase la jambe et l'épaule droite pour passer de l'autre côté du buisson avant d'entamer la montée.
"Aouille."
Le nain lui jeta un regard surpris par-dessus son épaule.
"Tiens, j'connaissais pas, ça.
- C'est une contraction, à vrai dire.
- Ah ?
- Oui, parce que vous m'avez écrasé la jambe et l'épaule. Alors au lieu d'aie et ouille, j'ai dit "aouille".
- J'vois...
- C'est un mage qui m'a appris ça, vous savez. Il venait se confesser de raccourcir tout le temps les mots, et de n'utiliser que des mots courts, alors que si Dieu avait créé des mots longs ce devait être, selon lui, pour qu'on les utilise."
Le prêtre se redressa, s'épousseta rapidement, puis suivit le nain.
"Au milieu de la confession, il a voulu fondre en larmes et a penché sa tête pour la cacher dans ses mains. Il a voulu aller trop vite et sa tête a rencontré une cloison du confessionnal en même temps que ses mains. Et il a fait "aouille". Depuis, je l'ai adopté."
Il s'arrêta.
"Vous pensez que je deviens comme lui ? Ce mage ? A n'utiliser que des mots courts ?
- Hum... J'crois pas, nan. V'zavez utilisé le mot, là. Très long. Là où on était avant.
- Confessionnal ?
- Mwouais, voila. Très long, ça, comme mot.
- Ah bon. Ouf.
- Ouais, ouf."
Enfin ils arrivèrent au sommet de la montée, devant cette sorte d'énorme porte faite presque directement dans la paroi de la montagne. Encore un truc nain, ça, histoire de compenser leur petite taille*
1.
"Dites...
- Ouais ?
- La grande porte, là... c'est vraiment des nains qui l'ont construite ?
- Ben pour sûr, p'koi vous m'd'mandez ça ?
- Je me demandais comment ils avaient fait le haut de la porte, à vrai dire. C'est à dire que c'est très haut, et puis... grimper là-haut avec des outils pour faire la porte et tout tailler directement dans la montagne... je... heu..."
Le nain lui jetait à présent un regard meurtrier tout en s'arrêtant devant l'énorme battant de pierre entr'ouvert.
- A partir d'maint'nant, on chuchote*
2. Et pour répondre à vot' question, les nains sont des grimpeurs-nés, s'comme ça qu'on est monté là-haut.
- Pourquoi donc ?
- Ben chais pas, on est nés comme ça, justement.
- Non mais pourquoi chuchoter.
- Parc'qu'ici, c'est l'territoire des Sombrefer...
Et en effet, dans l'ombre des portes, derrière un tas de petits rochers grand comme un enfant de douze ans et demie, deux nains à la peau plus sombre que celle de la majorité de leurs congénères étaient cachés, épiant le moindre geste de nos deux héros.
"V'la deux intrus, quèsse on en fait ?
- Tiens-toi donc tranquille, va. Vont v'nir droit sur not' ville, c'est prévu. C'est l'Grand Nain qui l'a dit. T'crois dans l'Grand Nain, quand même ?
- Ben... ouais, mais y dit des trucs bizarres l'Grand Nain en c'moment. Pour sûr qu'c'est t'jours lui l'Grand Nain, hein... mais..."
A peine eut-il le temps d'ouvrir de grands yeux ébahis qu'il était déjà mort, affalé dans les bras de son compagnon.
"J'espère qu't'avais au moins de l'argent sur toi, Kark, histoire d'allier l'utile à l'agréable."
Puis la seule forme sombre encore debout s'évanouit dans les ombres de l'intérieur de la montagne.
Pendant ce temps, Filos venait d'avoir une révélation qui aurait pu changer le cours de cette histoire...
"Eh, vous m'avez toujours pas dit pourquoi on est là, au fait.
- Ah bon ?
- Moi je voudrais savoir, comprenez.
- Ben, sûr que j'comprends.
- Alors... vous ne voudriez pas me dire ?
- Quoi ça ?"
Après un temps d'hésitation, Filos tenta une attaque sur un autre front, histoire de déstabiliser le nain et le forcer à livrer des informations.
"Et comment vous avez réussi à vous faufiler parmi les enfants, hein ?
- Lesquels ?
- Mais... ceux du confessionnal !
- Hé ben, vous trouvez pas qu'j'ai comme qui dirait presque la taille d'un mioche ?"
Et même un peu moins, pensa le prêtre.
"Les enfants n'ont pas de barbe.
- J'ai dit qu'j'étais précoce.
- Et pas d'accent nain.
- J'ai dit qu'j'avais été él'vé par des nains.
- Et ils ont une jolie voix aiguë avant de muer.
- Chuis précoce, s'tout.
- Mais...
- Chut, z'allez nous faire repérer.
- Mais je voulais...
- Chut.
Estimant qu'il avait fait tout son possible pour extorquer des informations au nain, Filos continua donc docilement à suivre ce dernier dans les tréfonds de la montagne, par un petit chemin sinueux qui longeait un à-pic d'environ cinq cent mètres. Une chute signifiait une mort quasi instantanée, car en contrebas se situait un énorme lac de lave bouillonnant, et ce pour deux raisons. La première étant qu'une faille devait exister sous le lac, le reliant au centre de la Terre, et qu'il y a une quantité phénoménale de gaz dans ce centre de la Terre
3 qui n'attend que de se retrouver à la surface. La deuxième raison est que des énorme bestioles, qui montrent parfois des gueules hérissées de crocs, vivent là-dedans, et expirent parfois sous l'eau. Filos suait à grosses gouttes, tant à cause de la chaleur qu'à l'idée que son Dieu puisse commettre un acte aussi peu... délicat. Les grosses bestioles ne lui causaient aucun problème, étant plus petites qu'un dragon, en général.
Quelques centaines de mètres plus loin, le nain reprit la parole :
"Ah, faut au moins qu'j'vous dise un truc. Si on croise des gens qui veulent nous capturer, on résiste pas. D'accord ?
- Même si...
- Oui.
- Ah. Et si jamais...
- Pareil. On résiste pas."
Alors qu'il finissait sa phrase, le chemin sinueux s'arrêta brusquement, laissant la place à une sorte d'énorme cavité sphérique. Comme si une explosion avait eu lieu ici, et qu'elle avait été tellement parfaite qu'elle avait rendu toutes les parois lisses. De cette endroit partaient trois chemins pavés plus ou moins correctement, et où attendaient une dizaine de nains à l'air pas engageants du tout, qui avaient tous le doigt sur la gâchette de leurs fusils, lesquels fusils avaient l'air à peu près aussi engageants que ceux qui les tenaient.
Filos était sûr qu'il fallait tenter quelque chose, qu'ils pouvait retourner la situation en se montrant amical...
"Heu... Hugh ?"
Son compagnon le regarda un moment, l'air horrifié comme si il venait de lui annoncer qu'il avait été un scatophile précoce, puis se cacha la tête dans les mains.
*
1 Oui c'est un coup bas, mais comment voulez-vous frapper un personnage d'un mètre vingt sinon ?
*
2 Dans la mesure où un nain peut chuchoter, bien entendu.
*
3 Et le Big Bang, vous avez cru que c'était quoi ? Dieu aussi pète, et il a bien dû trouver un endroit où cacher les "résidus", si on peut dire, de sa malencontreuse inadvertance. Ici, le centre de la Terre.
{Épisode revu et corrigé. Si des fautes subsistent, faites m'en part svp =).}